L’éloge de l’Ennui dans l’économie de l’Attention.

S’il y a quelque chose qui devient encore plus rare, plus précieux dans l’économie de l’attention, c’est bien l’ennui. 

Dans l’économie de l’attention, il ne faut pas voir l’ennemi en l’ennui, bien au contraire. L’ennui est un filon inexploité, un territoire vierge, un espace-temps préservé encore de l’attention, mais celle-ci est tenace et adopte parfois l’efficacité du moustique dans sa stratégie.

Quand l’insecte vous pique, la ponction est indolore et elle ne représente qu’une toute petite part de notre sang. L’attention est ponctionnée de façon indolore aussi : des fragments de vos de secondes, une petite part de votre temps, de votre attention, indolore. Au final toutes ces miettes collectées et amassées ensemble finissent comme un gigantesque crumble, émietté au-dessus de nos quotidiens. À celui qui croque dedans, nos futurs, nos envies, nos préoccupations, nos relations sont des saveurs intenses, permettant en retour d’orchestrer nos désirs.  

Vos amis vous diront peut être un jour, « qu’est-ce que je m’ennuie avec toi ! » Prenez le comme une grande marque d’affection, vous venez de lui sauver quelques secondes d’attention.

Car l’ennui pourrait être le meilleur remède, nous mettant à l’abri de l’attention. Mais la pression est forte face aux différentes fins du monde annoncées : il faut être efficace et être utile, responsable pour faire sens de sa vie. L’ennui n’est plus tolérable - on ne devrait pas s’ennuyer en famille, au travail, en public… D’ailleurs, les transports en commun deviennent des lieux de traite : femmes et hommes, enfants et senior dégainent leurs écrans pour se mettre sous perfusion.

Mais le moustique est aussi un vecteur de maladies transmissibles : infectés, il nous faut à notre tour de l’attention. Nos amis deviennent nos prochaines victimes, que l’on ponctionne à coups de « j’aime », de compassions, d’indignations et de partage en retour, provoquant une forte fièvre en permanence, où il devient difficile de distinguer l’essentiel du futile, le rêve du réel, rendant tout traitement coûteux.

Comme le prix des traitements médicaux lors de maladies chroniques, la maille des machines et des réseaux qui supportent nos attentions au quotidien, faisant pleuvoir leurs ondes partout dans le monde, a un impact réel et définitif sur la santé de notre monde.

Alors il nous faudra concilier ennui et attention, tel le poète, tel “le roi d’un pays pluvieux, riche mais impuissant», il nous faut accepter le Spleen, pour le vaincre et avancer - un spleen numérique - où nous sommes les rois d’un pays hyperconnecté, riche d’attentions mais impuissant d’actions.