L’esquif intuition et le paquebot méthodologique.

Une voile est comme l’oreille d’un bateau, il suffit de la tendre pour écouter les vents et avancer ensemble pour parcourir les océans. Et l’intuition est comme la voile de nos esprits, il suffit de la tendre pour écouter les signes pour parcourir le monde.

Mais nous sommes des animaux industriels et nous n’accordons plus d’attention à nos intuitions. Cette magie a été capturée par des méthodologies pour la mettre à disposition du plus grand nombre. Les fracas de la vapeur du charbon, les explosions du feu du pétrole et les flashs électriques de l’atome nous ont rendus sourds, aveugles et amorphes aux vents, mais si fort collectivement. Nos esquifs se sont transformés en paquebot de croisière.

Il n’est plus besoin de tendre une voile pour voyager désormais. Les méthodologies ont échantillonné et synthétisé nos rêves pour en faire des voyages organisés : nos écoles inculquent au plus grand nombre le même imaginaire collectif, leurs diplômes sont les visas du voyage balisé. Homo Gestalt, nous n’avons plus besoin d’être puisque nous sommes. Et comme tout voyage organisé, toute velléité d’initiative personnelle, toute incartade est soigneusement étouffée avec amour ou atrophiée avec bienveillance.

Sommes-nous heureux ? Pendant que les vents continuent de souffler, sourds, aveugles et amorphes, nous rêvons d’aventures ou de vies meilleures, tout en continuant d’emprunter, de corps et d’esprit, ces mêmes voyages méthodologiques, si bien organisés.

Mais des résurgences émergent et prennent de multiples formes. Nos enfants se mettent en grève pour leur avenir, signifiant ainsi que leur condition d’apprenant n’est qu’un emploi comme un autre. Les carrières toutes tracées ne sont plus aussi attractives, car leur contrat ne leur parle qu’à moitié, eux qui effacent les lignes entre emploi et travail. L’imaginaire des entreprises n’est plus aussi attractif, surtout quand elles ne vivent que sous perfusion de leurs bilans profitables.

Alors, rêvons, rêvons encore plus. Naviguons sur nos intuitions et nos imaginaires. Qu’ils prennent la forme d’inspirations, de récits, d’images, de gestes, d’entreprises… comme autant d’actes de propagande pour semer le trouble de nos quotidiens, pour la promotion de toutes les humanités possibles.

Et si nos routines nous ont fait oublier jusqu’au goût même du vent, il est temps de délaisser nos enfants de nos voyages organisés, qu’ils puissent être des navigateurs par et pour eux-mêmes, aguerris et libres.